Ce dossier a été publié dans Allaiter Aujourd'hui n°31, LLL France 1997
Un bon départ pour l'allaitement
Même s'il faut dire et redire qu'en matière d'allaitement,
pratiquement rien n'est irrécupérable, qu'on peut, avec une forte
motivation, beaucoup de soutien et de bonnes informations, presque
"tout" rattraper, il n'en reste pas moins que dans les faits, un mauvais démarrage se conclut trop souvent par un sevrage précoce.
Or ces mauvais démarrages n'ont rien de fatal. Il ne sont le plus
souvent que le résultat de mauvais conseils, donnés en toute bonne foi
mais qui dénotent une ignorance totale de la physiologie de la
lactation.
Aussi avons-nous eu envie de revenir sur le sujet qui faisait le dossier du premier numéro à 'Allaiter aujourd'hui' .
Huit ans après, si l'on en croit les témoignages qui suivent, les choses ne se sont pas beaucoup améliorées, et les trois "règles d'or" ne semblent toujours pas connues ni appliquées dans beaucoup de services de maternité.
Elles sont pourtant - en plus de l'importance de la tétée précoce - le B.A.BA d'un bon démarrage :
- une bonne position du bébé au sein
(tout son corps tourné vers la mère, il a en bouche non seulement le
mamelon mais une bonne partie de l'aréole, qu'il comprime entre sa
langue et son palais), ce qui évite douleurs de mamelons, crevasses
(voir AA n° 23), et par une bonne stimulation du sein, apporte au bébé
tout le lait dont il a besoin ;
- dès la naissance, un allaitement vraiment à la demande,
c'est-à-dire sans limitation ni du nombre ni de la durée des tétées,
sans intervalle minimum entre deux prises du sein (les 3 heures
fatidiques !), ce qui permet d'éviter les engorgements, de bien mettre
en route la lactation et de combler les besoins de nourriture, succion
et contact du bébé(l);
- pas de biberons de complément,
qui comportent un double danger. D'une part la tétine du biberon (de
même que les sucettes et les téterelles) risque d'entraîner chez le bébé
une confusion sein/tétine, qui fait qu'il ne sait plus "bien" téter le
sein (voir AA n° 28). D'autre part les compléments (qu'il s'agisse de
lait ou d'eau sucrée) perturbent l'établissement de la sécrétion lactée :
selon la loi de l'offre et de la demande, plus le bébé tète, plus il y a
de lait, moins il tète, moins il y a de lait ; s'il est "calé" par un
biberon, il va moins téter, fera fabriquer moins de lait, sera frustré à
la tétée suivante, et l'on sera alors tenté de lui donner davantage de
complément. Amorce d'un engrenage qui aboutit très vite au sevrage du
sein.
Mais plutôt que de détailler ces "il faut, il ne
faut pas", nous avons eu envie de publier ici une large partie de
l'intervention du Dr Gro Nylander à la Journée internationale de
l'allaitement, le 21 mars dernier. La façon dont elle décrit
comment l'allaitement démarre quand on ne lui met pas de bâtons dans les
roues, nous a semblé tellement simple, belle et naturelle, que nous
avons voulu vous la faire partager.
N'oublions pas que Gro Nylander
est norvégienne, que les bébés norvégiens sont allaités à 98% à la
naissance, qu'ils le sont encore à 60% à 6 mois. Preuve que le démarrage
s'est bien passé !
Ce que nous pouvons souhaiter de mieux aux bébés
et aux mères de chez nous, c'est de pouvoir vivre eux aussi un
démarrage aussi simple.
C.D.J.
(I) Rappelons que toutes
les observations de populations primitives, où l'allaitement se
rapproche sans doute le plus de ce que la Nature a prévu pour l'espèce
humaine, montrent des tétées courtes et très fréquentes (trois ou quatre
par heure, jusqu'à une soixantaine par 24 heures !). Voir par exemple
Melvin Konner et Carol Worthman, "Nursing Frequency, Gonadal Function,
and Birth Spacing Among !Kung Hunter-Galherers", Science, vol. 207, 15
Feb. 1980, pp. 788-91.
Les organisatrices de ce congrès
m'ont demandé de parler du bon démarrage de l'allaitement. C'est un
point capital, car si le départ est bon, l'essentiel du travail est
fait, et la mère allaitera généralement sans gros problèmes.
Le mode de naissance et les analgésiques jouent un rôle.
Un
accouchement normal, par voie basse et avec une analgésie réduite au
minimum, est ce qu'il y a de mieux. Tous les analgésiques, y compris la
péridurale, ont un impact sur le nouveau-né, et affectent négativement
la mise au sein pendant plusieurs jours. Ces dernières années, nous
avons appris de plus en plus de choses sur les capacités, instincts et
réflexes du nouveau-né, qui permettent à la plupart des enfants nés à
terme et en bonne santé de trouver le sein, dans la mesure où la mère
n'a pas été trop lourdement médicamentée pendant l'accouchement.
Dans
les circonstances normales, tous les bébés nés à terme et en bonne
santé sont placés dès la naissance sur le ventre de leur mère, à
proximité de ses seins. Le bébé peut pleurer, avoir quelques petits
problèmes respiratoires transitoires ou avoir besoin de se reposer. Mais
après un moment de repos, pouvant aller de quelques minutes à une ou
deux heures au maximum, la plupart des bébés se réveillent et ont un
comportement standardisé. Si les yeux du bébé ne sont pas fermés par un œdème, il va regarder avec une grande concentration, et fera preuve
d'un intérêt particulier pour le visage de sa mère -surtout ses yeux- et
pour le sein et le mamelon.
Il commencera à faire des grimaces
avec sa bouche, à bouger les lèvres et la langue. Si l'on touche ses
lèvres, il ouvrira grand la bouche. Si on lui touche la joue, il se
tournera vers le côté touché.
Il va commencer à ramper, d'abord
en remuant les hanches et les jambes, puis en remuant les bras, dans le
but de se hisser vers les seins. Il va commencer à porter sa main à sa
bouche. Il va étendre et replier les bras, et essayer d'agripper tout ce
qui lui passera sous la main, souvent le mamelon s'il le peut.
De
même, la plupart des mères agissent de façon similaire, pour peu qu'on
les laisse faire tranquillement et qu'on leur assure que tout va bien.
Elles vont explorer tendrement le corps de leur bébé du bout des doigts,
parcourant tout son corps s'il est nu. Plus tard, elles vont le
caresser pour le rassurer, surtout s'il pleure, et garderont sur lui des
mains protectrices.
A certains moments, le bébé "appellera" sa
mère à l'aide de petits cris aigus : "Eh ! Eh !", et la mère répondra.
Elle parlera à son bébé, généralement d'une voix très particulière,
d'une tonalité douce mais plus aiguë que la voix normale, la "voix de
bébé". Les recherches ont montré que les bébés portaient une attention
particulière à ce type de voix, tout particulièrement si elle provient
de leur mère. Les bébés sont nettement moins intéressés par les voix
masculines de tonalité grave.
(...) Le nouveau-né a aussi un sens
de l'odorat bien développé. Si l'un des mamelons est lavé et pas
l'autre, la plupart des nourrissons choisiront le sein non lavé. Il vaut
donc mieux que la mère ne se soit pas lavée juste avant. Et si plus
tard, un bébé est mis en présence d'un coussinet provenant du sein d'une
mère allaitante et d'un coussinet provenant du sein de sa propre mère
qui ne l'allaite pas, il choisira le coussinet de la mère qui allaite.
Le bébé sait qu'il a besoin de ce lait ! De même, la plupart des mères
savent, au bout de quelques jours, reconnaître leur bébé à son odeur les
yeux fermés.
Le bébé va devenir de plus en plus actif dans sa
recherche du mamelon. Il va bouger la tête, la remuer de droite à
gauche, quelque chose que nous n'aurions pas cru possible il y a
quelques années.
Habituellement, il semble bon d'aider le bébé à
prendre le sein quand il montre qu'il est prêt à le faire. Mais si on ne
le fait pas, bon nombre de bébés en bonne santé se débrouilleront pour
trouver le sein eux-mêmes. Lorsque le mamelon touche sa bouche, le bébé
commence à le "chercher", ouvrant grand la bouche, remuant les lèvres,
allongeant la langue afin de pouvoir prendre une large bouchée de sein
dans sa bouche. Il est nécessaire que le tissu mamelonnaire soit
introduit jusqu'au fond du palais dur pour déclencher le réflexe de
succion. Il est très important d'attendre que le bébé ait un bon réflexe
de fouissement, même si nous souhaitons l'aider, car cela lui rendra
plus facile une bonne prise en bouche du sein.
Nous devons faire
en sorte que le bébé fasse ses premières expériences de succion sur un
sein souple et extensible, et non sur la tétine dure et peu élastique
d'un biberon ou d'une sucette, ce qui peut induire une confusion
sein/tétine.
Parfois le bébé ne tétera pas correctement au sein
les toutes premières fois. Il pourra se contenter de frotter son nez
dessus et de goûter un petit peu. Il sera alors important d'expliquer à
la mère que c'est une façon comme une autre de commencer, et que cela ne
constitue pas un refus du sein.
Il est bon que le bébé reçoive
quelques gouttes de colostrum lors de cette première tétée, ce qui
aidera au démarrage de ses fonctions digestives et immunitaires. Il est
encore plus important de savoir que le fouissement du sein par le bébé
induit des taux très élevés d'hormones chez la mère, ce qui fera
démarrer en flèche sa sécrétion lactée.
Le nombre des récepteurs
pour l'ocytocine est particulièrement élevé dans le tissu mammaire juste
après la naissance. Cette hormone, qui est responsable des contractions
utérines pendant l'accouchement, est aussi responsable du réflexe
d'éjection du lait. Lorsque le bébé tète, un signal est envoyé par le
système nerveux depuis les seins de la mère jusqu'à l'hypophyse et
l'hypothalamus, lieux de production de l'hormone, qui sera excrétée dans
le sang. Elle sera ensuite amenée par la circulation sanguine dans
toutes les cellules maternelles, induisant des contractions utérines
après la naissance, ainsi que la contraction des petits muscles qui
entourent les ascini mammaires, ce qui en fera sortir le lait. Ce
circuit du sein au cerveau, du cerveau au sang, avec retour au sein,
prendra un certain temps, souvent plusieurs minutes au début. C'est une
des raisons pour lesquelles les instructions qui limitent fortement le
temps passé au sein par l'enfant sont si néfastes à l'allaitement. Le
réflexe d'éjection ne nécessite qu'une faible quantité d'ocytocine, mais
sans cette faible quantité, le bébé n'obtiendra pas le lait.
L'ocytocine
est aussi produite lorsqu'on caresse la peau, et elle induit un
sentiment de bien-être tant chez la mère que chez l'enfant. Après
quelques instants, la mère et l'enfant montreront les signes d'une douce
somnolence, et pourront même s'endormir ensemble pour peu qu'on les
laisse sans les déranger.
(...) Le rôle du père, à ce moment
particulier, me semble être celui de protecteur. Très souvent on voit le
père suivre tout le processus très attentivement. Au bout d'un moment,
lorsque règnent le calme et la paix, quelque chose de drôle arrive : le
père commence à ressembler à un lion ! Il pourra entourer de ses bras
protecteurs sa femme et son enfant, et si quelqu'un approche, surtout si
c'est une personne inconnue, il respirera profondément, soufflera vers
la personne en question et lui jettera un regard peu amène.
Parfois
le bébé ne tétera pas correctement au sein les toutes premières fois.
Il pourra se contenter de frotter son nez dessus et de goûter un petit
peu. Il sera alors important d'expliquer à la mère que c'est une façon
comme une autre de commencer, et que cela ne constitue pas un refus du
sein.
"brouillard de l'allaitement"
Dans mon pays, nous avons
une expression, le "brouillard de l'allaitement". Elle rend compte de
cette observation, faite depuis bien longtemps, selon laquelle une femme
qui allaite, tout particulièrement pendant les premières semaines après
l'accouchement, est dans une sorte de flou. Elle est centrée sur
elle-même. Elle obtient généralement des scores plus bas aux tests
cognitifs. Cela est probablement un judicieux arrangement de la Nature
au moment où la mère a besoin de se concentrer sur son bébé et sur leur
petit univers commun.
Plusieurs des hormones secrétées lors de
l'allaitement ont apparemment cet impact. La prolactine, produite aussi
par la glande pituitaire pendant les tétées pour réguler la sécrétion
lactée, atteint son plus haut niveau après les tétées nocturnes, ce qui
assure ensuite à la mère un bon repos.
Une hormone digestive, la
cholécystokinine, sécrétée tant chez la mère que chez l'enfant pendant
les tétées, induit un sentiment de détente et de satisfaction. Le
contact peau à peau a le même effet. Les bébés qui reçoivent une
quantité adéquate de calories mais ne bénéficient pas d'un contact
physique, pourront présenter une stagnation staturo-pondérale. La
cholécystokinine facilite aussi la mise en place chez l'enfant des
systèmes de stockage énergétique.
Il est souvent dit que
l'allaitement est épuisant à cause des tétées nocturnes. Toutefois, même
pendant le séjour en maternité, les femmes qui n'allaitent pas sont
aussi fatiguées que celles qui allaitent et gardent leur bébé avec elles
pour l'allaiter la nuit. Toutes les mères auront besoin de siestes
pendant la journée. Une des raisons en est probablement que les rythmes
de sommeil changent chez la nouvelle mère, sans doute à cause des
modifications hormonales induites par l'allaitement. La mère atteindra
plus rapidement le stade du sommeil paradoxal, un sommeil
particulièrement important, profond et réparateur, le sommeil des rêves.
Ainsi
dans l'idéal, nous avons la mère et son enfant en train de se reposer
tranquillement ensemble, après avoir vécu cette suite de réflexes qui
ont aidé l'enfant dans son voyage depuis le placenta jusqu'au sein. Il
est important qu'ils ne soient pas dérangés. Il a été démontré que même
une seule minute d'interruption, par exemple pour aspirer le bébé, est
suffisante pour retarder le processus et en compromettre le succès.
Néanmoins
tout n'est pas perdu si nous ne pouvons pas obtenir ce départ idéal.
Les premières heures qui suivent l'accouchement semblent être une
période capitale pour le démarrage de l'allaitement et l'établissement
du lien mère/enfant, mais grâce à leur cerveau très développé, les
humains ont beaucoup d'autres possibilités et occasions d'établir la
lactation et les liens mère/enfant. Cela demandera juste davantage
d'efforts à la mère et à l'enfant, et davantage de soutien de la part
des professionnels de santé.
L'on m'a aussi demandé de dire
quelques mots sur les suppléments donnés en maternité, étant donné que
cela constitue en France un problème important. Croyez-moi, vous n'êtes
pas les seuls ! Il a été difficile de faire accepter le fait qu'un
pauvre bébé devait apparemment rester affamé en attendant la montée de
lait chez sa mère, même si aucun autre mammifère ne reçoit de
suppléments après sa naissance.
Il y a douze ans, j'ai mené une
étude sur la supplémentation en Norvège. A cette époque, les laits
industriels à base de lait de vache avaient été proscrits, et l'eau
glucosée était le supplément donné en routine. Elle était donnée toutes
les trois à quatre heures pendant les trois premiers jours, pour
prévenir l'hypoglycémie.
Il est apparu que les enfants recevaient
en moyenne 600 ml de cette eau sucrée en trois jours. Cela semble peu
de chose à première vue, mais cela correspond à quarante canettes de
boisson sucrée avalées par un adulte...
Lorsque l'on a abandonné
cette pratique, la prévalence de l'hypoglycémie n'a pas augmenté. A leur
sortie de maternité, les enfants qui n'avaient reçu que le lait de leur
mère avaient une meilleure prise de poids que ceux qui avaient reçu
tous ces suppléments.
Aujourd'hui, en Norvège, très peu de bébés
nés à terme et en bonne santé reçoivent autre chose que le lait de leur
mère. Aucun supplément n'est donné, sauf indication médicale. Bien sûr,
il a fallu se battre pour obtenir ce résultat : ce n'est que l'an
dernier que nous avons achevé de mettre au point un texte sur les
"critères médicaux pour la supplémentation en maternité", texte approuvé
par les chefs de service en pédiatrie et auquel tous les services de
maternité se sont vus demander de se conformer.
(...) Les
maternités constatent que les mères ont plus de lait et plus vite que
jamais auparavant, et que les bébés perdent moins de poids maintenant
que lorsqu'ils recevaient des suppléments en abondance.
(...) Je vous souhaite bonne chance dans votre travail en France. Il semblerait que vous en ayiez besoin !
Le
texte complet de cette intervention et celui de toutes les
interventions à la 3° Journée internationale de l'allaitement sont
publiés dans un numéro hors-série des Dossiers de l'allaitement.
Gro Nylander
Le
texte complet de cette intervention et celui de toutes les
interventions à la 3° Journée internationale de l'allaitement sont
publiés dans un numéro hors-série des Dossiers de l'allaitement.
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé
à condition de mentionner la provenance de cet article.
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un commentaire !